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Dossier "Les rubans du Patrimoine" de Cairanne : Cliquez


La chronique de mai 2021

1414 à nos jours : le prix de la terre agricole à Cairanne (2)


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Au moment de la Révolution française, l’idée d’un cadastre avec une carte représentant la propriété est bien présente. D’autres pays l’on déjà fait, en Savoie par exemple où un impôt est fixé en fonction de la valeur de la terre.
Il faut attendre 1807 pour que le pouvoir napoléonien réunisse les textes réglementaires. Mais à la chute de Napoléon tout est remis en cause, critiqué dans son principe :
  • L’arpentage se fait sur des bases scientifiques avec une grande précision (1km plus ou moins 20m, remarquable pour l’époque !). Cette rigueur coûte cher en géomètre !
  • L’évaluation des revenus de la parcelle se fait selon l’appréciation d’experts, donc subjective et variable selon l’expert !

Le résultat ne peut qu’être approximatif d’une commune à l’autre. Après de nombreuses tergiversations, en 1828 il est décidé que l’évaluation des revenus se fera au niveau de la commune par des citoyens investigateurs désignés par le maire et assistés par un arpenteur.
Dans le manuel de l’arpenteur, il y a quelques recommandations : l’arpenteur doit profiter de son séjour dans la commune pour familiariser les habitants avec les nouvelles mesures. Encore que l’on utilise un langage du XVIIIe siècle. Les surfaces sont établies en arpent métrique (hectare), en perche métrique (are), et en mètre carré. Il doit expliquer qu’il mesure des terres en pente comme si elles étaient planes…

Évaluation de la terre
La classification de la terre se fait par type de culture et de niveau de fertilité de la terre. Pour une culture, il existe jusqu’à cinq classes de fertilité. Chaque classe correspond à un revenu par hectare qui appliqué à la superficie de la parcelle donne le revenu imposable.
Ainsi, pour les terres labourables de Cairanne, il y a cinq classes, 1 à 5, dont le revenu va de 70 à 3,5. La classe 1 dont le revenu est égal à 70, correspond aux terres les plus fertiles donc les plus chères. Pour la vigne il y a quatre classes, de 1 à 4, dont les produits vont de 40 à 5. Les oliviers ont 3 classes. Les prés, jardins ont une seule classe de revenu 70 comme les terres labourables les plus chères.
Voilà la répartition simplifiée des terres labourables, vignes et oliviers pour 1829 :
Culture Surface totale (h :hectare) Surfaces (les plus chères) Surfaces revenu (les moins chères)
Terres labourables 1052 h 26 h (revenu 70) 154 h (revenu 3,5)
Vignes 405 h 57 h (revenu 40) 104 h (revenu 5)
Oliviers 19 h 3 h (revenu 40)
Les terres labourables les plus chères valent deux fois plus que les terres en vignes.
La surface de la commune de 2251 hectares .
Un autre document fiscal donne pour la vigne en 1829 :
  • 280 hectares qui fournissent 1950 hectolitres en vin ordinaire.
  • 125 hectares en grenache qui fournissent 1 550 hectolitres de vin supérieur.
La consommation pour les habitants de Cairanne étant de 850 hectolitres , le reste est exporté dans les départements voisins. Il faut noter que seuls Châteauneuf-du-Pape et Cairanne, de tout le Vaucluse, fournissent du vin supérieur. Prix de l’hectolitre ordinaire à Cairanne : 9 F et supérieur 15 F (Châteauneuf : 20 F).
En résumé, en 1829 les terres labourables sont les plus chères et occupent une surface de plus du double de celle de la vigne car c’est une production de nécessité, la disette de 1812-1815 l’atteste :
« On mêle l’orge, les pois pointus, les haricots et les fèves et autres grains pour faire du pain » .
Cairanne doit produire ses céréales pour vivre ! La carte de la figure 1 montre les terres les plus chères.
On retrouve la même distribution qu’en 1414 et en1702 !
Cairanne ne semble pas vivre en autarcie. La vente du vin, des cocons de soie, l’engraissement des moutons, la production de garance (une dizaine d’hectares) doivent donner une certaine aisance aux habitants. D’ailleurs en 1847, la municipalité demande une deuxième foire pour la vente de bestiaux en été, la première étant fin décembre.

Une innovation majeure : l’arrivée du train en 1849
Le train Paris Lyon Méditerranée (PLM) est mis en service en 1849 d’Avignon vers Marseille puis en 1856 vers Paris.
Les conséquences sont immenses. Pour Cairanne :
  • C’est la fin de la crainte d’une disette : les céréales se transportent facilement en provenance du nord de la France.
  • C’est un nouveau moyen d’échange, c’est l’ouverture de marchés : les vins du midi peuvent remonter facilement vers le nord de la France.
C’est sans doute Michel Alary qui, le premier, va exploiter cette innovation : il est présent avec ses vins en 1868 à l’Exposition maritime Internationale du Havre . Le train va créer deux grands axes de diversification en libérant des terres céréalières : soit les agriculteurs intensifient leur surface de production en vignes, soit les agriculteurs se reconvertissent : melon, ail, haricots verts, asperges, fraises vont être livrés dans toute la France.
Avant l’arrivée du train, les tonneaux de vin sont transportés par voie fluviale depuis le port de Roquemaure jusqu’à Sète pour être embarqués sur un navire ou remontent vers Paris par le Rhône, la Saône et les canaux. Ce sont principalement les vins de Châteauneuf-du-Pape qui sont exportés.

Évolution à Cairanne
La transition à Cairanne vers la monoculture de la vigne sera longue.
L’histoire de cette transition reste à écrire, elle ne sera pas un long fleuve tranquille : oïdium (1856), phylloxera (1862-1872), mévente des vins (1900), catastrophes climatiques, débuts difficiles de la cave coopérative (1929), long procès pour appellation Côtes du Rhône (1936) , règlements administratifs, pour arriver au cru en 2016. La figure 2 montre la carte cru qui correspond à des terres les plus demandées donc les plus chères. C’est une photographie en négatif des cartes de 1414, 1702 et 1829 ! En un siècle la valeur des terres agricoles s’est inversée après un période de stabilité de plus de cinq cents ans !
En 1832, le maire Roux répondant à un questionnaire sur les cultures de Cairanne aura cette formule heureuse : Le sol ne produit rien sans le secours de l’Art .

Gérard Coussot

Summary : in 1807, Napoleon launched the study of a cadastre for France with a detailed map. The Cairanne’s map was completed in 1829. Arable land surface is twice as large as vines surface and twice more expensive. The achievement of the railway to Paris in 1856 allowed the opening of new markets leading to the extension of the vine surface and the decrease of arable land surface. Today the Cru map is an inverted photograph of the 1829 map: the most expensive lands today were the cheapest in the 19th century.





Source : BMA modifiée
Fig 1 : atlas cadastral de Vaucluse 1831
• Terres agricoles : entourées en violet les plus cotées
• Vignes : zones en vert. L’expansion se fait sur la rive droite de l’Aygues



Mesure de l’époque.

ADV, 6M417.

Le standard est 1 hectolitre par an et par habitant donc 850 hectolitres pour 850 habitants.

ADV, Sous-Préfet d’Apt, 1815.



Source : mairie de Cairanne
Fig 2 : Carte cru Cairanne de 2018 : les zones en vert sont les plus cotées. Entourées en violet les terres les plus cotées autrefois



ADV,7M89. En 1873 il est noté 15 hectares.

Robert Bailly, Histoire du vin en Vaucluse, BMA, 4°19986.

Baron Leroy, La France à table, 1956.

ADV, 6M 376.


Source : BMA modifiée, note9
Transport de tonneaux vers les ports de Roquemaure ou d'Avignon

Est. Atl. 64/38, conservée par Avignon Bibliothèques (Ville d’Avignon) – Etablissement public communal-Fondation Calvet
Mise à jour : le 1 mai 2021
webmaster : Gérard Jacques Coussot