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La chronique du mois de juin 2018

1873 : mais où est le maire de Cairanne ?

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Aux Archives départementales, notre attention a été attirée par une lettre d’un membre du conseil municipal de Cairanne en date du 4 mars 1873 adressée au Sous-Préfet en ces termes :
Les membres du Conseil municipal de Cairanne ont l’honneur de vous exposer que depuis bientôt deux mois M. le Maire a quitté la commune pour n’y plus revenir jamais selon l’opinion publique …
Et ils demandent l’élection d’un nouveau maire !
Donc le maire François Etienne Biscarat a disparu depuis fin janvier 1873 !
En cherchant dans les papiers du Sous-Préfet d’Orange, nous avons trouvé cette lettre de démission en date du 9 février 1873 :
Des affaires de famille et d’intérêt ne me permettent plus de rester Maire de Cairanne Je vous prie instantanément de bien vouloir accepter ma démission de maire et de conseiller municipal et de considérer ma démission comme irrévocable attendu que je pars pour un voyage au long cours. Agréez…
Il faut deux mois pour que le Sous-Préfet réagisse et encore sous la pression du conseil municipal de Cairanne.
Les choses s’accélèrent : le 12 mars, le Préfet convoque les électeurs pour élire un nouveau maire le 30 mars ; c’est le sieur Estève qui est élu.
Tout rentre dans l’ordre jusqu’au 12 juillet lorsque le nouveau Préfet (voir encart) envoie un télégramme au Sous-Préfet :
Le sieur Biscarat ancien maire de Cairanne qui a pris la fuite en février dernier faisant dit-on un déficit considérable, a-t-il été déclaré en faillite ? Prière de me renseigner sur ce point et sur les antécédents du sieur Biscarat.
En dessous une mention manuscrite : n’a pas été déclaré en faillite !

Qui est Etienne François Biscarat ?
Il serait né à Baix en Ardèche en 1835 suivant le recensement de 1872 mais l’état civil de cette ville ne le mentionne pas. Il se marie à Sainte-Cécile le 13 janvier 1859 avec Anne Emilie Mathilde Moutoux une « étrangère », une italienne . Ils habitent au château Gallifet.
Il n’y a pas de descendance après un enfant mort-né en 1860.
Il est élu maire le 13 mai 1871, à une courte majorité sept suffrages sur 12 votants, dans une période politique et sociale particulièrement troublée (voir encarts).
Après son départ, son épouse s’active pour limiter les dégâts. Le 20 mai 1873, le tribunal d’Orange ordonne la séparation de biens du couple en ces termes :
…le dit Biscarat est dérangé dans ses affaires, qu’il est l’objet de poursuites de la part de ses créanciers et que l’état fâcheux de ses créanciers dans lequel il s’est mis mettant la dotte en péril, n’ayant plus de ressources pour faire face à ses engagements…elle reprendra la libre administration de ses biens pour les gérer…
Le 1 juillet, le tribunal autorise Mathilde à accepter la donation d’un oncle, une maison à Cairanne, le dit Biscarat faisant défaut.
La vie continue à Cairanne :
En 1876, on retrouve Mathilde Moutoux épouse Biscarat habitant le vieux village avec sa belle-mère.
En 1887, elle demande le divorce de Biscarat, présenté comme négociant en vin à Bollène .
Dans sa requête, elle charge Biscarat de tous les maux dont nous ne retiendrons qu’un seul, vérifiable : …et finalement disparu en 1873 pour ne plus reparaitre, abandonnant sa femme à ses propres ressources qu’hélas étaient bien légères...
Elle meure à Marseille en 1898 , sa sœur hérite de la maison de Cairanne.

Départ pour la Martinique
Dans les papiers de famille de Jean Paul Affre , il y a une note manuscrite de Biscarat adressée à Charles Affre l’instituteur du moment, rédigée en ces termes (de mémoire) :
N’écoutez pas ce que l’on dira sur moi, je suis obligé de partir, je pars à la Martinique.
C’est tout à fait plausible, c’est le voyage au long cours indiqué au Sous-Préfet ! Emigrer sous les tropiques, étant en difficulté en France, lever le pied, se faire oublier, se refaire une virginité est classique à cette époque. Comment est-il parti, sous quel nom ?
Nous avons cherché une trace de Biscarat dans les archives de la Martinique aux Archives Nationales , et d’Outre Mer .
Hélas, nous n’avons rien trouvé !
Il avait 37 ans au moment de son départ à la Martinique.
Donc nous pouvons supposer qu’il existe une branche cairannaise créole à la Martinique.
Aux généalogistes à finir cette chronique inachevée !

Gérard Coussot

Summary : In February 1873, the Cairanne’s Mayor suddenly disappears. It takes three months to elect a new Mayor. Then the Prefect is looking into the Mayor’s business suspecting a possible bankruptcy. The local economic situation is very bad and the politics are fighting each other. The Mayor flees to the island of Martinique (French Antilles) leaving behind his wife in Cairanne.

Mise à jour : le 1 juin 2018
webmaster : Gérard Jacques Coussot



Archives Départementales de Vaucluse (ADV),2M80.
ADV,4K100.
ADV 3M358
La situation politique dans le Vaucluse

La Troisième République nait dans le sang après le désastre de Sedan le 2 septembre 1870, la chute de Napoléon III et l’anéantissement de la Commune de Paris. Le Vaucluse connait des luttes et des affrontements entre deux grandes tendances politiques les républicains et les monarchistes. Chacun s’accuse de fraudes électorales et de clientélisme dans la nomination des fonctionnaires. La plupart des communes possèdent un ou plusieurs cercles d’orientation socialiste. Aux élections de 1871, le Vaucluse envoie quatre députés républicains dans une chambre majoritairement monarchiste. Mac Mahon l’homme de l’ordre est élu Président de la République le 24 mai 1873. Le 26 mai un certain Scipion Doncieux est nommé préfet pour le Vaucluse afin de rétablir l’ordre (celui du télégramme pour Biscarat). La répression s’amorce et la surveillance policière aussi. Le Préfet informe le Sous-Préfet d’Orange en février 1875, que la commune de Cairanne est très mal administrée par le maire le sieur Estéve (successeur de Biscarat) : "sans autorité et de plus radical !
On me signale l’instituteur Affre dont l’attitude politique serait mauvaise et qui aurait mal voté aux dernières élections"

ADV,3M358


ADV,6M329.
AC Sainte-Cécile-les-vignes.
ADV 3M358.
ADV 3U4/180.
3U4/569.
ADV 19Q10568


1870 : l’économie du Vaucluse facille
Durant les années 1870, le Vaucluse va subir brutalement trois catastrophes : la fin de la culture de la garance, concurrencée par un produit de synthèse, l’arrivée du phylloxera qui attaque le vignoble et une lente reprise de la sériculture (élevage des vers à soie) ravagée par différentes maladies, Pasteur ayant suggéré des pistes d’amélioration dans l’élevage.
L’économie traditionnelle est ruinée, la misère s’installe. La population déserte les campagnes.
C’est dans ces contextes politique et économique que François Etienne Biscarat va chuter. Il n’est pas le seul.
Le Vaucluse ne se relèvera que de nombreuses années plus tard.


Le grand père de Jean Paul Affre et l’arrière-grand-père de Danielle Coussot.
AN, SOM/5/Mi/1451 et 1452, Recensement Martinique, Tables des naissances et des décès, 1874-1883