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La chronique du mois de novembre 2017

1795 : une condamnée à mort à Cairanne !

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L’an trois de la République, Jean Pierre Monier officier ministériel soussigné,… je me suis transporté à la maison de justice du tribunal pour l’exécution du jugement rendu le vingt un du courant par le dit tribunal contre la nommée Claire Arnaud veuve Gille, habitante de la commune de Cairanne, condamnée à la peine de mort pour les causes énoncées. Je l’ai remis à l’exécuteur des jugements criminels et à la Gendarmerie qui l’ont conduite sur la place de justice de cette commune (Avignon) où sur l’échafaud dressé sur la dite place, la ditte Claire Arnaud en notre présence subit la peine de mort ....
Signé Monier
Enregistré le 29 pluviose an 3 (17 février 1795), gratis.
L’exécuteur des peines fait également son compte rendu : du 24 pluviose an 3…en exécution du jugement…la dite Claire Arnaud de la commune de Cairanne a subi la peine de mort sur le place du Palais à dix heures de ce jour .
Mais quel a été son crime ?

Les personnages
La déposition de témoins permet de reconstituer le triste scénario.
Joseph Discourt de Cairanne déclare que le 21 avril 1794 il a rencontré demoiselle Marie Vache près de l’Aygue venant de Tulette avec un jeune enfant. Lui ayant demandé de qui est cet enfant que tu portes, elle lui répondit être son enfant propre dont le père est le nommé Joseph Gille de Cayranne dit le Fabricon qui l’avait engrossée par des fornications qu’ils avaient eues la dernière fois du coté de Paul-les-Fontaines…il lui indiqua la dite grange du dit Gille…et y étant arrivés, le dit Discourt frappa à la porte de la mère du dit Gille qui est là (Claire Arnaud) et lui dit viens prendre l’enfant de ton fils…la dite Vache laissa son petit enfant au-devant de la porte de la mère du dit Gille.. et s’étant retirés de cinq à six pas ils virent la dite mère Claire Arnaud veuve Gille ouvrir la porte et prendre l’enfant avec un petit paquet de linge…

La découverte du cadavre
Huit jours plus tard, selon la rumeur publique, il manque un enfant à Cairanne ! Le juge de Cécile-la-Montagne se porte à la grange de Claire Arnaud et trouve un petit trou creusé prés de sa grange comme pour ensevelir un enfant. Un peu plus loin est trouvé dans un champ de blé un paquet de linge contenant un enfant. Le paquet est porté à la maison commune de Cairanne où en présence du juge, du maire et de plusieurs personnes, le chirurgien pratique l’autopsie et conclue à une mort violente par étouffement.

La coupable
Claire Arnaud est la coupable toute désignée. Devant le juge de Cécile-la-Montagne, elle reconnait les faits et commente avec force détails : elle reconnait d’avoir fait quelque chose de pas bien.
Marie Vache, la mère de l’enfant décédé, et Joseph Discourt l’accompagnateur sont interrogés comme témoins. Elle précise ses espoirs pour le futur après avoir déposé l’enfant: elle avait chargé le dit Discourt de lui faire savoir où son enfant serait placé, qu’elle ferait porter quelque chose à la nourrice et le dit Discourt lui avait dit de venir après les vers à soie et qu’il s’informerait où était placé son enfant…
L’instruction du juge est donc parfaite !

Le procès et le jugement
Six mois plus tard, Claire Arnaud se retrouve devant le juge du Tribunal criminel d’Avignon. Elle nie tout et ne se rappelle de rien. On apprend cependant qu’elle a un fils nommé Joseph Gille qui est au service de la République en qualité de volontaire. Il est parti quinze jours après que la municipalité ait tiré au sort les volontaires le 4 mars 1793. Le sort était tombé sur son fils.
C’est pourquoi le supposé père ne sera pas entendu comme témoin !
Le tribunal criminel du Vaucluse rend son jugement le 9 février 1795. Douze jurés ont été réunis et ont répondu aux questions rédigées de telle façon que Claire Arnaud n’ait aucune chance d’en réchapper. Elle était défendue par un défenseur « officieux » le citoyen Bouregout. Le tribunal la condamne à la peine capitale convaincu d’assassinat prémédité.
Il ordonne qu’elle sera traduite au lieu du supplice vêtue d’une chemise rouge conformément à l’article IV… Le présent jugement sera imprimé et affiché dans toute l’étendue du département.
Et c’est ainsi qu’elle se retrouve sur la place de Justice (du Palais) d’Avignon.

Etat civil
Pour déclarer la mort de l’enfant, l’officier d’Etat Civil de Cairanne Alexis Rolland, reprend, en partie le procès-verbal du juge de Cécile-la-Montagne. On apprend que la mère Marie Madeleine Vache avait déclaré qu’il était l’œuvre de Joseph Fabricon, qu’elle avait accouché à Taulignan et fait constater sa naissance par devant l’officier d’Etat Civil de cette commune. Il est enseveli par les soins de l’officier d’Etat civil dans le cimetière de Cairanne.
L’acte de décès de Claire Arnaud est aux Archives communales d’Avignon qui constate que Claire Arnaud a été mis à mort par jugement du Tribunal Criminel du département de Vaucluse…

Succession
Le 20 mars 1796, chez M° Bon, notaire à Cairanne, Joseph Gille se retrouve avec ses trois sœurs pour rechercher un accord sur la succession de leurs parents feu Antoine Gille et feue Claire Arnaud. Le notaire, subtil, écrit la formule fatidique en latin : ... pour les droits dottaux de la ditte Claire Arnaud leur mère morte ab intestat nectis que pour ce qui est des biens…. c’est-à-dire « morte exécutée sans testament»

Un record pour Cairanne
Cairanne est sans doute le seul village de France qui a le triste record d’avoir eu deux femmes guillotinées pour des crimes crapuleux : Claire Arnaud veuve d’Antoine Gille (cette chronique) et Madeleine Gille qui empoissonna le curé de Cairanne en 1832 (Chronique de juillet-août 2016). Cette dernière sera guillotinée à Carpentras.
Elle sera la dernière femme guillotinée du département de Vaucluse !
Sont-elles parentes ?, nous n’avons pas cherché leur généalogie !
Le 20 mars suivant après l’exécution de Claire, Olivier Payan, marchant colporteur de Cairanne, est exécuté sur la même place, condamné pour vol avec meurtre au Pontet .

Un peu d’histoire
L’affaire criminelle de Claire tombe dans le moment le plus troublé de l’histoire révolutionnaire du Vaucluse avec les événements suivants :
  • En mai 1794, des habitants de Bédouin coupent l’arbre de la liberté. La répression est sévère : 16 guillotinés, 47 fusillés et le village entièrement brulé (Un Oradour-sur-Glane avant l’heure) ;
  • En juillet 1794, la Commission populaire d’Orange guillotine 332 personnes dont 33 religieuses de Bollène;
  • En septembre 1794 : Les membres de la Commission populaire sont arrêtés à leur tour et six seront guillotinés en juin 1795;
Conclusion
A cette époque, on n’était pas à une tête près !

Gérard Coussot

Summary : Year 1795 in Cairanne, a murder of a baby boy is committed. The police arrests a woman who is suspected to have killed the young boy. According the baby owned mother, she left him on that woman’s door step so that she’ll take care of him, the father being the son of this woman. After a trial, the woman is condemned to have her head cut off on the Place du Palais des Papes at Avignon.
Archives Départementales de Vaucluse (ADV), 7 L 54 et 7 L 30.
ADV, 7L37.
ADV, 7L54.




Source : Association
Place du Palais des Papes à Avignon appelée Place de la Justice sous la Révolution. C’est sur cette place que la guillotine est installée aussi bien pour les condamnés politiques que pour les condamnés civils.



Source : Association
Guillotine : mise en place sous la Révolution en 1790, elle fonctionnera jusqu’en 1977 !

ADV, Nom révolutionnaire de Sainte-Cécile-les-vignes.
ADV, Registre des décès de Cairanne. Merci à JP Imbs de nous l’avoir signalé.
Bibliothèque Ceccano, Ms 2529/529
Village du Limousin dont les habitants ont été tués et les maisons brulées en 1944 par des unités de Waffen SS.
Mise à jour : le 1 novembre 2017
webmaster : Gérard Jacques Coussot