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La chronique du mois de janvier 2015
1937 : Souvenirs de vacances (2)



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Baptiste Bertoni, était le maçon du village, un Cairannais mâtiné d'italien. Il avait ses pénates dans le haut Cairanne. Au pays on disait "le Tistin" ou "la gamate", ce sobriquet venant du provençal "gamato" qui signifie "auge de maçon".
Lorsqu'il s'en retournait chez lui, après sa journée de labeur, il poussait, talin-taline, sa brouette chargée de son matériel de travail, en empruntant la calade, ce raspaillon pentu et malaisé qui lui raccourcissait certes son trajet mais, à vrai dire, c'était surtout pour avoir l'occasion de passer devant l'oustau (la maison) du pépé Paul, tout juste au moment où ce dernier prenait son apéritif sous les ombrages de la treille.
L'arrivée du maçon
Le maçon venait de déposer sa brouette pour souffler à cause du raidillon qui portait bien son nom. Puis il se redressa en geignant se tenant le dos en busquant les reins. Tout en faisant des contorsions et des grimaces comiques, il lorgnat du côté de pépé… "Té ! Qu'est-ce que je disais. Il va encore nous parler de ses rhumatismes !" observa Paul jubilant en se parlant à lui-même. "Hou, sias aqui, Tistin ! (Oh, vous voilà, Tistin !) lança le pépé spécieux en faisant comme s'il venait tout juste de le découvrir et il enchaina : "Que bon vênt vous adus ?" (Quel bon vent vous amène ?).
Baptiste hocha la tête en poussant un soupir et salua le pépé tout en s'avançant vers lui. "Ben lou bon jour, monsieur Affre !" fit-il gémissant en marchant de guingois; plié en avant, une main posée sur l'échine. En faisant des mimiques pas possibles, il exhibait ses douleurs aux regards du pépé.
"Pécaïre ! té, Baptiste, assetas-vous sus lou banc" (asseyez-vous sur le banc !) invita mielleusement le pépé. "He ! dise pas noun, mossu Affre !" (Oh ! Je ne refuse pas, M. Affre)………
Le pastis
"Tasta me aqueu pastis, Tistin ! " (goûtez-moi ce pastis !) suggéra, tentateur, le pépé en prenant un verre vide sur la table.
"Oh, sias, trop brave, touti, moussu Affre." (Oh, vous êtes bien aimable, M. Affre !) s'empressa de répondre Baptiste en opinant de la tête, l'œil allumé. Alors Paul fit l'échanson et versa une généreuse rasade du délicieux alcool, ambré, amer et aromatisé, en faisant glouglouter la bouteille.
"Voules d'aigo,vise ? (vous voulez de l'eau ?) proposa le pépé. "Voi la dourguette ajouta-t-il en désignant le cruchon transsudant et, sans attendre la réponse du maçon, il s'offrit à le servir :"Té, Tistin, vous serve." Il ajouta deux doigts d'eau limpide et fraîche provenant de la source du jardin du bas. L'eau qui se déversait produisit en se diluant une sorte de brume laiteuse qui se torsada en spirales avant de se dissoudre en une lactescence éburnéenne, irisée de paillettes d'orpailleurs.
Le Tistin, après avoir siroté la moitié de son verre de pastis, le reposa sur la table en faisant un petit claquement satisfait de la langue et se gobergea radieux auprès du pépé, en fixant, l'œil rêveur, les mouvements des ombres et des lumières qui caressaient les verres en leur donnant une vie luxurieuse.
La pipe
Quelques minutes après, il sortit sa pipe coudée en racine de bruyère qui voisinait dans la poche pectorale de sa veste avec un mètre pliant de bois jaune. Puis il tapota le fourneau contre le talon de sa chaussure pour en faire tomber les cendres résiduelles et porta la pipe à ses lèvres en pinçant le tuyau entre ses dents dans le coin de sa bouche où il la laissa pendre tandis qu'il extrayait de la poche de son pantalon sa blague à tabac et il bourra méticuleusement le fourneau de sa pipe avant de la replacer entre ses dents.
A l'aide d'un briquet à tresse d'amadou il réussit à l'allumer après quelques ratés d'étincelles de la pierre récalcitrante. Il aspirat profondément la flamme, les joues creusées en tirant deux ou trois bouffées qui éclairèrent le foyer en son centre tout en faisant rougeoyer les brindilles brunes.
Ils étaient paisiblement assis l'un près de l'autre, le Tistin tirant sur sa pipe et Paul sur sa cigarette. Entre deux gorgées ou deux bouffées, ils échangèrent quelques bons mots et souvenirs.
Lointaine Italie
On aurait pu s'étonner que deux êtres aussi dissemblables puissent se fréquenter mais justement ce qui les réunissait c'était leurs différences. Baptiste se gratifiait de rencontrer Paul et ce dernier profitait de la présence distrayante de ce compagnon. Parfois, le Tistin évoquait avec nostalgie son Italie lointaine et Paul, en ce cas, ne manquait jamais de lui rappeler que Joséphine, sa femme, venait aussi de là-bas; il savait que cela lui faisait plaisir.
Il y avait eu à cette époque une forte migration cisalpine en France.

Jean Guestault



Summary: The writer here reports some vacation time beforeWWII. He describes a daily meeting between his Grandfather "Pépé Paul" and Baptist mason in Cairanne. On his way home, Baptist moaning and groaning, used to stop by at Paul Affre's house which was just off the steep road. They shared a drink (a pastis) every day and were chatting and smoking on the bench in front of the house. Every now and then, Baptist would talk of his native country Italy.

Source : Collection particuliére
Baptiste s'avançait vers le pépé tout en le saluant


Source : dessin de l'auteur
Le pastis

Source : Collection particuliére
Ils étaient paisiblement assis l'un prés de l'autre


Mise à jour : le 18 janvier 2015
webmaster : Gérard Jacques Coussot